Dominique Duchêne, Chef de projet, Responsable des Attachés de Recherche Clinique (ARC) chez I-Motion, plateforme d’essais cliniques pédiatriques.
Qui êtes-vous quel est votre mission et depuis combien de temps travaillez-vous à l’Institut ?
J’ai rejoint l’Institut de Myologie en 2011 et suis actuellement chef de projet à I-Motion. Cette plateforme basée à l’hôpital Trousseau (Paris 12ème) a vu le jour en 2015 par la volonté de quatre partenaires, l’Institut de Myologie, l’AFM-Téléthon, l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’AIM étant notre mandataire de gestion. I-Motion est une plateforme d’essais cliniques pédiatriques dédiée aux maladies neuromusculaires qui a pour objectif de répondre à l’émergence de thérapies innovantes pour des maladies longtemps considérées comme incurables.
La plateforme I-Motion est dirigée par le Pr Odile Boespflug-Tanguy depuis juillet 2019. Nous menons, en tant qu’investigateur, des essais thérapeutiques industriels et nous développons des essais d’histoire naturelle de la maladie en tant que promoteur.
Une consultation spécialisée en pathologies neuromusculaires est également assurée par nos médecins au sein de la structure.
Je suis en charge de la mise en place de nouvelles études, des budgets et de la supervision des différents essais menés à I-Motion. J’encadre une équipe de huit Attachés de Recherche Clinique (ARC).
Comment se passe votre quotidien depuis le début de l’épidémie ? Quelle organisation avez-vous mise en place ?
Nous avons 17 essais en cours (14 essais thérapeutiques et 3 essais d’histoire naturelle) ce qui représente un volume d’une centaine de patients inclus dans des protocoles d’essai. Cela va de bébés de quelques mois à de jeunes adultes.
L’arrivée de l’épidémie nous a contraint à fermer partiellement nos locaux. Notre priorité a été la sécurité de nos petits patients fragiles sur le plan cardiaque et/ou respiratoire. Beaucoup d’entre eux habitent loin ou viennent de l’étranger (d’Europe de l’est principalement) et il leur était impossible de voyager compte tenu de la situation et des nouvelles règles sanitaires de restriction de déplacements. Il nous a donc fallu nous adapter et trouver rapidement de nouveaux moyens de suivi à distance pour acheminer les traitements à l’étude et réaliser les examens (bilans sanguins, ECG…) indispensables à la sécurité des enfants.
Nos quatre médecins sont restés en contact permanent avec les patients par téléphone ou par mail.
Suite à l’arrêt des consultations sur site mi-mars, nous avons mis en place un service de téléconsultation et des protocoles spécifiques pour identifier les urgences et assurer le suivi des patients.
Quelles éventuelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Lorsque le service a dû fermer ses portes et que nous nous sommes tous retrouvés confinés, nous avons mis en place une nouvelle organisation de suivi avec des tableaux récapitulatifs très détaillés pour que tout le personnel (médecins, infirmiers, secrétaires et ARCs) accède à l’ensemble des informations de suivi des patients à distance et nous avons échangé de très nombreux mails. La recherche clinique fonctionne avec une règle primordiale et incontournable, tout doit être tracé. Cela a généré un flux d’échanges très conséquent entre nous mais aussi avec les CRO (Contract Research Organization) et les sponsors.
En effet, des dérogations au protocole permettant l’acheminement de médicaments et le suivi des patients à distance requièrent l’autorisation des autorités compétentes ainsi que des comités d’éthique et des sponsors.
Les médecins, infirmiers et ARCs ont tracé toutes les étapes, procédures, suivi de visite, résultats d’analyses… par mail.
Les traitements administrés par voie orale ont pu être envoyés aux différents patients, même à l’étranger. Les promoteurs ont assuré le suivi (biologie et ECG notamment) grâce à une société d’infirmiers dédiée.
Pour les enfants qui devaient recevoir leur traitement hebdomadaire par voie intraveineuse, c’était plus compliqué. Les petits patients habitant sur le territoire français ont pu être injectés par notre équipe infirmière qui, chaque semaine, a fait le tour de France. En revanche, les petits patients étrangers ont été mis en arrêt de traitement momentané puisqu’il n’était plus possible de voyager ni de trouver de médecin référent dans leur pays d’origine pouvant prendre le relais.
Quel est l’impact de cette situation sur vous/vos collègues ?
Cette situation a généré un surcroit de travail phénoménal pour nos équipes et notamment les ARCs qui sont les véritables “chefs d’orchestre” des essais. Ils assurent la cohésion d’ensemble, coordonnent les différents services, les évaluations, les plannings, les prises de rdv, aident les médecins à contacter les familles, assurent avec notre assistante, la logistique pour les déplacements et les hébergements des enfants et de leurs accompagnants… Ils s’assurent qu’il n’y ait aucune déviation au protocole. Ils tracent le parcours complet des patients des essais en cours et entrent toutes les données de l’essai clinique dans un cahier d’observation électronique. Les données sont monitorées (vérifiées) par les CRO, mandatées par le promoteur.
Depuis le 11 mai, nous avons organisé un retour progressif des patients sur site.
De retour sur place, la charge de travail reste très lourde puisqu’il faut imprimer tous les mails, les classer, mettre à jour les dossiers patients avec le suivi des évènements indésirables et des traitements concomitants survenus durant la période de confinement.
Nous continuons, par ailleurs, à chercher avec les sponsors, des solutions au retour rapide de nos petits patients étrangers.
Une revue parcimonieuse du budget d’I-Motion a été effectuée, étude par étude et visite par visite pour évaluer l’impact du Covid sur nos ressources.
Quels sont les points positifs que vous souhaitez partager ?
J’aimerais souligner à quel point l’équipe est investie et engagée. Tout le personnel d’I-Motion a su faire face à cette crise, s’adapter rapidement et se montrer très réactif et innovant. Cette situation inédite a aussi été finalement très riche sur le plan humain, la solidarité s’est renforcée entre nous mais aussi envers les patients et leurs familles pour les accompagner, rester proches d’eux et les rassurer en permanence.
La communication était sans doute le maître mot dans ce contexte si particulier.
Personnellement, le confinement m’a un peu isolée et le contact humain m’a manqué, comme à la plupart d’entre nous, mais je me suis sentie encore plus investie pour chercher et trouver des solutions nous permettant de poursuivre notre travail dans les meilleures conditions, même à distance.
Avez-vous un message à faire passer ?
Je voudrais vraiment remercier une fois de plus toute mon équipe pour l’énergie déployée et le travail accompli durant ces mois très difficiles. Tout le monde s’est décarcassé, a dépassé largement les horaires de travail pour assurer le bien-être des patients qui reste toujours notre priorité. Nous avons réussi à tout mener au mieux, dans les règles imparties, malgré les difficultés rencontrées. Pour cela, je leur tire mon chapeau !
Les familles se sont adaptées aussi à de nouveaux horaires et de nouvelles pratiques. Elles nous ont été reconnaissantes et leurs remerciements récompensent notre implication.
Un esprit d’initiative, de solidarité et de débrouillardise a émergé au profit de la collectivité et c’est important aussi de le souligner.