Ma thèse en 180 secondes : Louison Lallemant, lauréate 2022 du Prix du public

Lauréats de la finale 2022 de MT180

Louison Lallemant est doctorante dans le groupe de Mario Gomes-Pereira et Geneviève Gourdon au sein de l’équipe REDs dirigée par Denis Furling et Geneviève Gourdon, au Centre de Recherche en Myologie de l’institut. Elle vient de remporter le Prix du public attribué par les internautes et le public assistant à la Finale Sorbonne Université du concours « Ma thèse en 180 secondes »*.

Pour quelle raison avez-vous souhaité participer à ce concours ?
L L : La médiation scientifique m’intéresse et ce concours me permet d’avoir une expérience supplémentaire. J’ai pu observer à plusieurs reprises que les gens non spécialistes à qui j’ai pu parler neurones et recherche étaient très enthousiastes… j’avais d’ailleurs déjà présenté mon sujet de thèse à des lycéens lors des journées « Déclics »** et j’avais eu de très bons retours de leur part. Participer à ce concours m’a également permis de mettre en lumière la dystrophie myotonique qui est une maladie rare et peu connue du grand public. Enfin, il y avait aussi, bien sûr, le challenge personnel de présenter 3 ans de recherche en 3 minutes…

M G-P : Ce concours francophone met en valeur les travaux des doctorants et jeunes docteurs de toutes les disciplines avec des sujets sur la physique des trous noirs, la littérature, l’histoire, la musique et, bien sûr, les sciences de la vie…

Quel est le sujet que vous avez exposé ?
L L : Je travaille donc sur la Dystrophie Myotonique de type 1 (DM1), une maladie neuromusculaire rare qui est due à une mutation génétique étudiée depuis plusieurs dizaines d’années pour ses conséquences sur les muscles, mais pas autant pour ses conséquences neurologiques parmi lesquelles on retrouve des troubles de l’attention et de la mémoire, de l’humeur, ou du comportement, et dans les cas les plus graves, des déficits mentaux et un faible QI. Désormais, on étudie également les symptômes neurologiques au niveau cérébral.

La mutation génétique et les symptômes sont connus, mais le lien pour comprendre ce qui se passe au niveau cellulaire et moléculaire dans le cerveau reste encore méconnu. Je travaille plus spécifiquement sur les neurones, et l’équipe a déjà trouvé des pistes moléculaires qui montrent que le transport axonal est perturbé. Notre hypothèse c’est que les neurones ne communiquent pas efficacement à cause d’un transport axonal défaillant des vésicules de neurotransmetteurs. Pour aborder cette question, j’étudie des souris transgéniques modèles de la maladie, créées au laboratoire. Nous avons d’abord montré au cours d’expériences d’électrophysiologie que, dans l’hippocampe de ces souris (le siège de l’apprentissage et de la mémoire) les neurones ne communiquent pas de façon efficace, et qu’il y a une libération anormale des neurotransmetteurs***. Il reste à étudier la contribution d’une dérégulation du transport axonal, par des preuves fonctionnelles et des données moléculaires. Actuellement, mon objectif est donc de caractériser les anomalies du transport axonal, et de comprendre pourquoi il est dérégulé. Pour cela, je travaille sur des cultures primaires de neurones issus des souris transgéniques. Après avoir marqué les vésicules, je les filme par vidéomicroscopie et j’observe leur mouvement, que je peux caractériser par leur vitesse, leur parcours, la distance, le nombre de pauses marquées, etc. 

Comment ces travaux s’inscrivent-ils dans la thématique du laboratoire ?
M G-P : Notre grande équipe de recherche réunit des expertises très complémentaires qui s’intéressent à plusieurs dimensions de la DM1. Il y a d’abord l’aspect génétique destiné à mieux comprendre la mutation : pourquoi il y a dans la DM1 cette petite séquence instable d’ADN qui change de taille et devient pathogénique lorsqu’elle devient trop grande. Notre équipe s’intéresse quant à elle aux conséquences de cette mutation et au lien entre la mutation et l’apparition des symptômes au niveau de la cellule qui n’est pas encore complètement établi. Cette étape est très importante car nous espérons identifier des événements pathogéniques pouvant potentiellement constituer des cibles thérapeutiques. Enfin, le reste de l’équipe s’intéresse à la composante thérapeutique et développe des stratégies thérapeutiques pour cette maladie en utilisant notre modèle murin pour tester différents outils.

Depuis une quinzaine d’années, au cours de nos échanges avec les patients et leurs familles, nous avons compris que les problèmes neurologiques liés à la maladie étaient davantage une source de difficultés au quotidien que les conséquences musculaires elles-mêmes (troubles de l’attention à l’école, problèmes d’interactions sociales liés à une possible apathie, un manque de motivation, hypersomnolence, fatigabilité, etc.)

Dans notre groupe, nous nous intéressons plus spécifiquement aux mécanismes de la maladie dans les différents types cellulaires du cerveau : neurones et cellules gliales (astrocytes et oligodendrocytes), leurs interactions et les anomalies dans la communication neuro-gliale.

Quelles seront les prochaines étapes ?
L L : A partir des études menées en culture, je vais chercher à établir au niveau cellulaire d’où vient le défaut de communication entre les neurones de l’hippocampe : du neurone pré-synaptique (émetteur), du neurone post-synaptique (récepteur), des astrocytes (qui pourraient créer un environnement dans lequel la communication n’est pas efficace) ou encore des oligodendrocytes (qui forment la gaine de myéline, permettant d’augmenter la vitesse de conduction électrique).

M G-P : En remontant la chaine d’événements, nous cherchons à établir pourquoi cela ne se passe pas bien au niveau moléculaire. Le gène muté produit des molécules d’ARN qui s’accumulent dans le noyau de la cellule, formant des agrégats toxiques dont l’impact est délétère pour les autres ARN et pour la cellule entière. Notre hypothèse actuelle est que cette accumulation d’ARN toxiques dans les cellules cérébrales va déréguler l’expression de différents gènes, notamment des gènes importants intervenant dans le transport axonal, mais également des gènes du cytosquelette, importants dans la morphologie de la cellule (un aspect essentiel pour la fonction des cellules cérébrales, fortement ramifiées).

Au niveau thérapeutique, il existe déjà des pistes, par exemple détruire les agrégats toxiques qui sont dans le noyau par thérapie génique (D. Furling****). Pour le cerveau, nous espérons trouver des mécanismes défectueux qu’il serait possible de réguler par voie pharmacologique en attendant que la thérapie génique fonctionne au niveau cérébral.

 

*Lire le portrait de Louison Lallemant réalisé par Sorbonne Université

 

** « Journées Déclics » : Dialogues Entre Chercheurs et Lycéens pour les Intéresser à la Construction des Savoirs

 

*** Potier B, Lallemant L, Parrot S, Huguet-Lachon A, Gourdon G, Dutar P, Gomes-Pereira M. DM1 Transgenic Mice Exhibit Abnormal Neurotransmitter Homeostasis and Synaptic Plasticity in Association with RNA Foci and Mis-Splicing in the Hippocampus. Int J Mol Sci. 2022 Jan 6;23(2):592. doi: 10.3390/ijms23020592. PMID: 35054778; PMCID: PMC8775431.

 

**** Voir l’interview de Denis Furling : Une nouvelle approche de thérapie génique pour la maladie de Steinert