Une nouvelle approche de thérapie génique pour la maladie de Steinert

L’équipe de Denis Furling* (Paris) en collaboration avec celle de Nicolas Sergeant** (Lille) a développé et testé une nouvelle approche de thérapie génique dite de « leurre » pour la maladie de Steinert ou dystrophie myotonique de type 1 (DM1). La stratégie repose sur l’expression de protéines modifiées qui vont se lier aux expansions pathologiques des ARN mutés en lieu et place des protéines MBNL1 endogènes afin de libérer ces dernières et restaurer leur activité dans les cellules musculaires exprimant la mutation DM1. Les résultats viennent d’être publiés dans la revue Nature Biomedical Engineering***.
Entretien avec Denis Furling.

Quel est le contexte global du projet ?

La DM1 a pour origine une expansion anormale de répétitions de triplets CTG située dans la région 3’ non codante du gène DMPK. Ces transcrits DMPK mutants contenant des expansions CUG pathologiques (CUGexp-ARN) séquestrent notamment les protéines de liaison à l’ARN (RBP) de la famille MBNL sous forme d’agrégats ou foci nucléaires avec, pour conséquence, la perte fonctionnelle des protéines MBNL conduisant à des altérations de maturation des ARNs et, in fine, à la détérioration progressive des muscles. Ainsi, des défauts d’épissage alternatif retrouvés dans les muscles affectés des patients DM1 ont été associés à des symptômes cliniques comme la myotonie et la faiblesse musculaire.

Actuellement, il n’existe pas de traitement pour cette maladie mais de nombreuses stratégies thérapeutiques sont en développement.

Quels étaient les objectifs de cette étude ?

Nous avons développé une approche dite de « leurre » afin d’inhiber la toxicité des CUGexp-ARN. Pour cela, une RBP ayant une forte affinité de liaison pour les expansions CUG a été modifiée afin qu’elle puisse agir comme un leurre et empêcher la séquestration des protéines MBNL endogènes par les CUGexp-ARN.

Quelles méthodes avez-vous utilisées et quels résultats avez-vous obtenus ?

Nous avons modifié la protéine MBNL1 qui possède une très forte affinité pour les répétitions CUG. Ainsi nous avons généré une protéine leurre MBNL1∆ qui possède uniquement les domaines de liaison à l’ARN mais une activité d’épissage fortement réduite. Des études in vitro démontrent que ce leurre est capable de déplacer MBNL1 des CUGexp-ARN et de corriger les anomalies moléculaires dans des cellules musculaires isolées de patient DM1.

Afin de tester son efficacité dans un modèle de souris DM1 exprimant des CUGexp-ARN dans le muscle, le leurre MBNL1∆ a été cloné dans un vecteur AAV9. L’injection locale dans le muscle de souris DM1 permet la correction des anomalies d‘épissage alternatif ainsi que de la myotonie, un des marqueurs caractéristiques de la DM1. Cette action est durable puisque ces corrections sont toujours présentes 1 an après un seule injection d’AAV-MBNL1∆. L’administration systémique d’AAV-MBNL1∆ dans des souris DM1 conduit à une correction des défauts épissage et une amélioration du phénotype musculaire.

Quelles conclusions peut-on en tirer et quelles perspectives cette étude a-t-elle permis d’ouvrir ?

Nos résultats soulignent l’efficacité contre les symptômes de la maladie de Steinert, d’une thérapie génique fondée sur la production par bioingénierie de protéines « leurres » possédant une forte affinité pour les répétitions pathologiques présentes dans l’ARN muté, afin de libérer les protéines MBNL1 endogènes et de retrouver leurs fonctions régulatrices.

Ce travail représente une preuve de concept. Son développement pré-clinique avec notamment des études de doses, de toxicité, de choix de promoteur et de vecteur AAV devra encore être réalisé afin d’envisager une potentielle application clinique.

 

 

Agrégats d’ARN-DMPK mutant contenant des répétitions pathologiques de triplets (rouge)
visualisées par FISH/IF dans les noyaux (bleu) de cellules musculaires (vert)
isolées de patients atteint de Dystrophie Myotonique de type 1.
Crédits : Denis Furling et Nicolas Sergeant

Lire le communiqué de presse Inserm du 10/02/22 Une thérapie génique à l’étude contre la maladie de Steinert

 

* Denis Furling, équipe REDs du Centre de Recherche en Myologie, Inserm/Sorbonne Université, Institut de Myologie, Paris

 

**Nicolas Sergeant, Équipe « Alzheimer et Tauopathies », UMRS1172 Neuroscience & Cognition, Inserm/Université de Lille

 

*** Reversal of RNA toxicity in myotonic dystrophy via a decoy RNA-binding protein with high affinity for expanded CUG repeats. Arandel L, Matloka M, Klein AF, Rau F, Sureau A, Ney M, Cordier A, Kondili M, Polay-Espinoza M, Naouar N, Ferry A, Lemaitre M, Begard S, Colin M, Lamarre C, Tran H, Buée L, Marie J, Sergeant N, Furling D. Nat Biomed Eng. 2022 Feb 10. doi: 10.1038/s41551-021-00838-2. Epub ahead of print. PMID: 35145256.