DM1 : Mise en place d’un groupe de remédiation cognitive – Entretien avec S. Sayah et T. Guillopé

Sabrina Sayah et Thibaud Guillopé sont psychologues cliniciens spécialisés en neuropsychologie dans l’équipe Psychologie et neuropsychologie de l’Institut de Myologie. Ils ont présenté leur travail clinique à la Journée du DMU de Neurosciences qui s’est tenue à l’ICM le 22 juin dernier. Leur poster* ayant été sélectionné, T. Guillopé a pu présenter oralement les premiers retours à proposdu groupe de remédiation mené avec des patients atteints de DM1. Egalement appelée maladie de Steinert, la DM1 est la maladie neuromusculaire la plus fréquente chez l’adulte, et c’est celle que l’on rencontre également le plus dans le service de NeuroMyologie de l’Institut. Entretien avec Sabrina Sayah et Thibaud Guillopé.

Quelle est la genèse de ce travail ?

Sabrina Sayah : Cela faisait longtemps que j’avais en tête un groupe de remédiation pour les patients Steinert, mais la réalisation concrète de ce projet concorde avec l’arrivée de Thibaud, à la fin de l’année 2022. J’avais notamment un patient atteint de DM1 pour lequel je sentais que le suivi individuel s’essoufflait, et c’était l’occasion de proposer quelque chose d’autre.

Thibaud Guillopé : Il s’agit ici d’impliquer les patients dans quelque chose de groupal et de travailler ensemble sur les difficultés de cognition sociale. Certains patients DM1 ont en effet parfois des difficultés à se mettre à la place de l’autre, à s’adapter socialement en fonction de leurs interlocuteurs. Ils peuvent avoir des moments d’irritabilité voire d’agressivité, une levée du filtre : les patients peuvent être très directs, ce qui peut entraîner des situations sociales assez embarrassantes et compliquées pour eux.

SS : L’idée est de les aider à faire un pas de côté pour les amener à regarder leur fonctionnement de l’extérieur et les amener à comprendre ce qu’ils peuvent modifier pour se sentir plus serein vis-à-vis de situations sociales diverses. Nous travaillons également autour de la demande d’aide : comment ne pas se sentir coupable ou mal à l’aise dans cette position.

Pouvez-vous décrire le dispositif que vous avez mis en place ?

TG : Nous avons choisi, sur le conseil de Bettina Beaujard qui est psychologue clinicienne dans l’équipe et qui a travaillé dans le passé  en psychiatrie, un jeu de cartes nommé « Compétences ». Il y a trois catégories de cartes** : les questions vertes portent sur les connaissances explicites sur la cognition sociale de manière générale, sur la relation à l’autre.
Les deux autres types de cartes proposent des situations pour lesquelles les patients doivent soit jouer leurs réactions (les rouges), soit décrire quelles solutions ils proposent pour un problème donné (cartes bleues). La couleur de la carte à jouer est tirée au dé.

SS : On laisse la personne qui tire le dé jouer/répondre puis on demande aux autres s’ils auraient fait différemment, et cela ouvre la discussion. Les cartes que les patients préfèrent sont les rouges ! Ce jeu, outre son aspect ludique, permet d’aborder à la fois les questions théoriques et pratiques mais aussi la résolution de problème. Cela permet ainsi de travailler aussi sur les fonctions exécutives qui nous permettent de découper  et de planifier les étapes nécessaires à la résolution d’un problème donné pour enfin mettre en place une solution pour répondre au mieux à une situation sociale.
Ce jeu constitue un entraînement aux habiletés sociales, plus on en fait plus on est fort, c’est comme pour le sport !

Comment avez-vous recruté vos patients pour former ce groupe ?

SS : Nous avons chacun rencontré individuellement des patients, qui étaient suivis depuis longtemps ou que l’on rencontrait en hospitalisation de jour, à qui il nous semblait intéressant de proposer ce groupe. Cela pouvait être des patients qui étaient tout à fait conscients de leur difficulté à être en relation avec l’autre mais aussi, dans certains cas, des personnes qui ne comprenaient pas pourquoi elles avaient du mal à se faire des amis, ou à garder un emploi. Le groupe était présenté comme un outil permettant de faciliter les contacts sociaux avec les autres.

TG : Il y a pu y avoir des réticences, à cause de l’aspect inconnu mais aussi l’embarras à admettre que l’on a des difficultés.

SS : C’est aussi parfois difficile pour les patients atteints de DM1 de débuter un nouveau type de prise en charge car ce qui n’apparait pas immédiatement comme nécessaire ou utile se heurte à une attitude assez inflexible. Mettre en place des changements dans la vie quotidienne peut être très coûteux émotionnellement et cognitivement, cela peut également entraîner beaucoup de stress et d’anxiété. Il a donc fallu bien présenter en amont les modalités du groupe comme le nombre de séances, la durée des séances mais aussi l’intérêt de venir et d’y participer. Cela a permis au patient d’avoir le temps d’y réfléchir avant de se lancer dans l’aventure. On voulait en effet que les patients rejoignent volontairement ce groupe. La maladie impose déjà énormément de contraintes, pas question d’imposer une prise en charge de plus. 

Concrètement, quel groupe avez-vous formé et comment se sont déroulé les séances ?

SS : Le groupe compte 6 patients, 4 femmes et 2 hommes, à différents stades de la maladie et à des niveaux d’atteinte motrice et cognitive assez hétérogènes. Nous avons prévu 12 séances d’1h30, le vendredi après-midi, une fois par mois. Les séances avec ce groupe se termineront en janvier 2025, puis nous débuterons un nouveau cycle de 12 séance avec un nouveau groupe.

TG : Mais il semble que les patients vont avoir du mal à arrêter, il y a une très bonne ambiance ! Si au début il y avait un peu de méfiance, elle a vite cédé la place à une bonne entente. Nous avons utilisé un autre jeu pour briser la glace et se présenter lors des deux premières séances, le « Dixit ».

SS : D’ailleurs Thibaud et moi, on joue aussi lors des séances ! Je trouve ça très important que l’on joue parce qu’on apporte un point de vue extérieur, une façon de faire un peu différente. C’est aussi une façon d’être ensemble, de favoriser la dynamique du groupe et ne pas être perçu comme des « évaluateurs ». On montre qu’il n’y a pas de réponse parfaite à une situation sociale.

Quelles observations avez-vous tiré de ces séances ?

SS : Le groupe a permis plusieurs choses pour les patients, en particulier un effet que nous n’avions absolument pas anticipé : le fait qu’ils discutent ensemble du suivi médical de leur maladie et de  questions thérapeutiques très concrètes (pacemaker, VNI,  etc.). Ils se sont probablement sentis moins seuls grâce à ces partages d’expérience et les changements leur ont paru moins angoissants. Par exemple, une patiente qui refusait jusque-là la pose d’un pacemaker a finalement accepté en disant à son médecin que le groupe l’avait fait changer d’avis. Echanger avec d’autres  personnes qui ont déjà vécu la pose d’un pacemaker et avec lesquelles un sentiment de confiance s’est installé à mesure des séances, a diminué l’anxiété de cette patiente face à cette situation nouvelle et angoissante. Les patients se sont aussi rendus compte qu’ils pouvaient avoir des façons de communiquer un peu inadaptées, ou encore que dans certaines situations, ils avaient tendance à répondre impulsivement ou de manière agressive. Ils ont pu expérimenter lors du groupe que d’autres réponses étaient possibles et que l’on pouvait réagir différemment.

Les patients vous ont-ils fait part de leurs remarques ?

SS : Des patients nous ont dit se sentir plus calmes avec les autres dans leur vie quotidienne.

TG : J’ai noté aussi qu’ils avaient beaucoup apprécié de pouvoir s’exprimer totalement librement, de sentir la cohésion du groupe et sa bonne entente. Ils ont souligné avoir appris sur la maladie en général, ce qui a pu les conduire à une reprise du suivi médical pour certains. Ils ont également rapporté se sentir moins agressifs et plus en capacité de gérer leurs émotions. Enfin ils ont apprécié le nombre restreint de participants et précisé qu’ils avaient été à l’aise avec d’autres personnes atteintes de la même pathologie. Les membres du groupe ont d’ailleurs évoqué l’idée de monter un autre groupe de parole plus général.

Allez-vous continuer ce type de travail ?

SS : Nous allons terminer les 12 séances avec ce premier essai qui est déjà concluant pour nous et pour les patients. Cette nouvelle façon de travailler est très stimulante.
Nous aimerions pouvoir objectiver les effets bénéfiques observés via des échelles psychologiques : de régulation émotionnelle, de conscience de soi ou d’anxiété, ou encore à l’aide de tests en évaluant avant/après les 12 séances de remédiation. Les critères d’évaluation sont encore à déterminer. C’est l’objectif du prochain groupe.
Plus largement, on peut imaginer proposer le groupe à des patients atteints d’autres MNM présentant des difficultés cognitives, comme dans la dystrophie musculaire de Duchenne ou de Becker par exemple.

 

 

* Télécharger le poster de l’équipe Un groupe de remédiation cognitive auprès des patients atteints de dystrophie myotonique de type I

 

** Les questions sont posées dans un ordre allant de la plus simple à la plus complexe.
 Exemples de questions vertes : « Citez trois points importants pour répondre à un compliment » ou « Quels sont les comportements qui vous indiquent qu’une personne est triste ? »
Exemple de question rouge : « Vous souhaitez participer à un jeu de société avec des collègues de travail lors de la pause de midi, votre voisin de droite joue votre collègue.
Exemple de question bleue : « Un inconnu vous insulte dans la rue, que faites-vous ? »