DM1 : la toxicité de l’ARN modifie la morphologie, l’adhésion et la migration des astrocytes

Mario Gomes-Pereira et son équipe* viennent de publier un article dans Nature Communications** portant sur la toxicité de l’ARN muté qui modifie la morphologie, l’adhésion et la migration des astrocytes chez la souris et chez l’homme dans la dystrophie myotonique de type 1 (DM1). Entretien avec Mario Gomes-Pereira.

 

Quel est le contexte de ces travaux ?

La DM1 est une maladie neuromusculaire qui touche également le cerveau, avec des atteintes neurologiques ayant des effets très divers, des plus subtils aux plus sévères. Ceux-ci sont très marqués dans les formes précoces de la maladie, et caractérisés par une déficience intellectuelle et altérations de comportement. Chez l’adulte, l’atteinte neurologique est plus subtile mais aussi très typique, touchant surtout la capacité de planification, l’adaptation et la flexibilité de raisonnement, et on observe aussi des changements de comportement.

La DM1 est due à une expansion de triplets nucléotidiques CTG dans le gène DMPK, menant à la formation d’agrégats d’ARN (ou foci) toxiques à l’intérieur du noyau cellulaire, perturbant le métabolisme d’autres ARN messagers et de plusieurs fonctions cellulaires. 

Dans le cerveau, il y a plusieurs types de cellules. Outre des neurones, on trouve des cellules gliales : les astrocytes, les oligodendrocytes et la microglie. Les cellules gliales assurent le maintien de l’homéostasie, et jouent un rôle de soutien structural, métabolique et neurochimique. 

Nous savons que le gène DMPK est fortement exprimé dans les astrocytes, nous nous sommes donc demandé si ces cellules montrent une accumulation délétère des foci d’ARN et des anomalies qui pourraient expliquer l’atteinte cognitive et comportementale de la DM1.

 

Quel était l’objectif de cette l’étude et comment avez-vous procédé ?

Nous cherchons à comprendre les bases moléculaires et cellulaires de ce dysfonctionnement cérébral. Dans la DM1, on n’observe pas de forte dégénérescence globale mais principalement une détérioration de certaines fonctions du cerveau, qui dans son ensemble est très handicapante pour la vie quotidienne des malades. Notre espoir est d’arriver à agir sur des fonctions cérébrales dérégulées dans le cerveau, afin d’améliorer la qualité de vie des patients. Pour cela, nous avons utilisé un modèle murin transgénique de la maladie (la lignée DMSXL créée par Geneviève Gourdon) qui exprime la mutation humaine dans plusieurs types de cellules du cerveau de la souris, en produisant des ARN toxiques, dans le but de déterminer quelles sont les cellules les plus touchées, et en particulier étudier l’impact de la DM1 sur les astrocytes.

 

Quels résultats avez-vous obtenus ?

Nous avons montré que les astrocytes DMSXL accumulent des foci d’ARN plus abondants, par rapport aux neurones, ce qui perturbe leur morphologie, à la fois dans le cerveau de la souris et en culture cellulaires. Les astrocytes porteurs de la mutation sont plus petits et moins ramifiés. L’atteinte neurologique semble donc avoir une composante hors neurone.

Par ailleurs, via le séquençage de l’ARN, nous avons mis en évidence que l’ARN toxique a un impact sur l’expression des gènes qui contrôlent la morphologie, l’adhésion cellulaire et le cytosquelette des astrocytes, en compromettant probablement leur rôle dans le soutien et la régulation de la fonction synaptique.

Enfin, pour étudier l’impact des astrocytes défectueux sur les neurones, nous avons utilisé des systèmes de co-culture cellulaire. En cultivant des neurones en présence des astrocytes avec ou sans la mutation DM1, nous avons constaté que les astrocytes des souris DMSXL altèrent la neuritogenèse, impactant indirectement la biologie des neurones.

 

Quelles conclusions en avez-vous tiré ?

Ces résultats impliquent qu’il faut sortir de la vision neuro-centrique de l’atteinte cérébrale dans la DM1. Certains laboratoires essayent actuellement de développer de nouvelles thérapies, notamment l’équipe REDs du CRM. Nous n’avons jusque-là pas encore identifiés les cibles thérapeutiques les plus pertinentes dans les astrocytes, car il y a potentiellement plusieurs gènes concernés. Cependant, nos données ouvrent déjà un nouvel et important axe de réflexion sur les nouveaux outils de thérapies génique : afin de mieux cibler l’atteinte cognitive et comportementale de la DM1, il ne suffira pas de viser uniquement les neurones, mais aussi les astrocytes et très probablement d’autres cellules non-neuronales.

 

* Groupe de Geneviève Gourdon, équipe REDs, Centre de Recherche en Myologie.

 

** Dincã DM, Lallemant L, González-Barriga A, Cresto N, Braz SO, Sicot G, Pillet LE, Polvèche H, Magneron P, Huguet-Lachon A, Benyamine H, Azotla-Vilchis CN, Agonizantes-Juárez LE, Tahraoui-Bories J, Martinat C, Hernández-Hernández O, Auboeuf D, Rouach N, Bourgeois CF, Gourdon G, Gomes-Pereira M. Myotonic dystrophy RNA toxicity alters morphology, adhesion and migration of mouse and human astrocytes. Nat Commun. 2022 Jul 4;13(1):3841. doi: 10.1038/s41467-022-31594-9. Erratum in: Nat Commun. 2022 Jul 14;13(1):4091. PMID: 35789154; PMCID: PMC9253038.