Étude sur la force de préhension chez les malades atteints de DMD – Entretien avec J.-Y. Hogrel

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L’équipe du Laboratoire de Physiologie et d’Évaluation Neuromusculaire à l’Institut de Myologie a participé avec, en particulier, des cliniciens d‘I-Motion, à une étude destinée à évaluer la force de préhension chez les patients atteints de Dystrophie Musculaire de Duchenne. Les résultats ont été publiés en mars 2020 dans Journal of Neurology*. Entretien avec Jean-Yves Hogrel, responsable du laboratoire.

Quelle est la genèse du projet ?
Nous sommes partis du constat global au début des années 2000 qu’il n’existait alors que très peu d’outils pour évaluer les patients neuromusculaires très faibles. Les outils d’évaluation classiques étaient pour le moins inopérants et ne permettaient pas de détecter la force de ces patients, certes faible mais pourtant existante.
Il pouvait en résulter une certaine frustration pour les patients face à la difficulté d’obtenir des résultats chiffrés. Nous avons donc pris la décision de développer plusieurs outils afin de pouvoir tester, évaluer et accompagner convenablement nos patients suivis au service de neuro-myologie et au Laboratoire de Physiologie et d’Evaluation Neuromusculaire. Parmi ces outils, le dynamomètre MyoGrip, qui évalue la force de préhension qui est une fonction majeure d’autonomie et qui a une très grande importance pour ces patients.

En quoi consiste le dispositif d’évaluation utilisé ?
C’est en étudiant et en commençant à évaluer des patients atteints de maladies neuromusculaires présentant une faiblesse majeure des muscles que nous nous sommes rendus à l’évidence que les méthodes utilisées jusqu’ici n’étaient pas satisfaisantes et qu’il était opportun de développer de nouveaux outils..

MyoGrip

C’est le cas du dynamomètre MyoGrip (outil breveté), un dynamomètre de haute précision pour l’évaluation de la force de préhension, qui a été utilisé dans cette étude.
Le premier prototype a été réalisé en 2001, et une solution mature a été validée par une première étude (nommée MyoTools) qui s’est déroulée de 2007 à 2009. Des évaluations de patients utilisant le MyoGrip avaient pu être réalisées au moment de plusieurs Téléthon et Journées des Familles.

Cet outil, comme l’ensemble de nos MyoTools, sont des outils de haute précision sur toute leur échelle de mesure. On mesure ainsi la force de préhension entre et 0 et 90 kg avec 50 g de précision et 10 g de résolution.

Nos outils sont tous développés et imaginés avec des cliniciens et font l’objet de plusieurs études de validation. On mesure leurs propriétés métrologiques, on valide les protocoles de mesures, les réglages… et on développe des normes et modèles de référence.

Dans cette étude, on s’est servi de l’âge des patients comme indicateur de référence pour exprimer la force non pas en valeurs absolues, mais en valeurs prédites pour l’âge. Le modèle de prédiction est basé sur une équation reliant l’âge à la force de préhension établie à partir de mesures sur plus de 350 sujets contrôles.

Les résultats nous ont également prouvé qu’il était possible de détecter la force musculaire de tous les patients, y compris les plus faibles. Ce qui est le cas pour les patients non ambulants que l’absence de méthodes de mesure adaptées écartait des essais thérapeutiques.

Quels sont les objectifs de l’étude ?
L’objectif de cette étude était de construire une histoire naturelle de la force de préhension des patients atteints de Myopathie de Duchenne (DMD) âgés de 5 à 30 ans et suivis dans des études d’histoire naturelle de la maladie.

Quelles méthodes ont été utilisées pour tester et évaluer les patients ?
Nous avons d’abord rassemblé des données issues de différentes études cliniques internationales pour en faire une méta-analyse. Ces données étaient issues de plus de 200 patients suivis sur plus de deux ans de suivi ce qui représente près de 1000 points de mesure.

Nous avons démarré une première étude en 2009 qui a duré 4 ans; le suivi de chaque patient était de 2 ans. Puis d’autres études se sont enchainées à l’aide de différents outils qui ont permis d’évaluer les patients à différents niveaux d’exploration : la force (préhension, pinch, extension, flexion du poignet…), des mesures respiratoires (capacités vitales, volumes et pressions pulmonaires…), de l’imagerie (volume musculaire, infiltration graisseuse…) et des mesures fonctionnelles (mesure des fonctions motrices, marche…).

Les mesures de préhension ont ainsi été évaluées grâce à l’outil MyoGrip.

Quels résultats ont été obtenus ?
L’étude a permis de révéler un aspect important de la force de préhension. Nous avons pu noter que lorsque que l’on exprimait la force en valeur absolue (en kg), les patients étaient très hétérogènes. En effet, jusqu’à environ 12 ans, la force de préhension augmente et la croissance permet de compenser en partie la dégénérescence musculaire due à leur maladie. Passé cet âge, on observe une décroissance de la force chez ces patients souvent devenus non ambulants.
Si on exprime cette même force en valeur relative (en pourcentage de force prédite pour l’âge), on constate que les patients DMD commencent à perde leur force avant l’âge de 5 ans, et ce de façon graduelle et continue. Mesurer la force en valeur relative permet ainsi de gommer l’effet confondant de la croissance et/ou de l’âge.

Avec ce dynamomètre, nous sommes ainsi capables de suivre un patient quel que soit son statut clinique, ambulant ou non, sous traitement ou non.

Quelles conclusions peut-on en tirer et quels bénéfices ont pu être mesurés pour les patients ?
Cette étude a permis de tester et valider la force de préhension comme possible mesure d’efficacité d’un traitement.

De plus, cet outil peut être utilisé pour d’autres types de maladies où la faiblesse musculaire des patients est majeure, comme par exemple l’amyotrophie spinale (SMA) ou la myopathie myotubulaire (CNM).

Pour les patients, les bénéfices de ces protocoles et de ces mesures d’évaluation sont évidents. Grâce à la sensibilité du MyoGrip, il est possible de démontrer concrètement qu’il leur reste toujours un peu de force musculaire alors que jusque-là, les appareils de mesures de préhension du marché n’étaient pas suffisamment sensibles pour détecter les forces les plus faibles. Les résultats sont clairement visibles via nos outils qui sont capables de détecter un tout petit effort et surtout des petites variations de force dans le temps. Ce qui peut être important en l’état actuelle des approches thérapeutiques.

Enfin, grâce à cette étude, nous avons à cœur de faire connaître nos outils et nos méthodes en dehors de notre centre d’expertise en neuromyologie car les applications sont multiples pour d’autres pathologies entrainant des problèmes de préhension : vieillissement, AVC, cancers, traumatismes, etc.

 

 

*  Normalized grip strength is a sensitive outcome measure through all stages of Duchenne muscular dystrophy, Jean-Yves Hogrel, Valérie Decostre, Isabelle Ledoux, Marie de Antonio, Erik H. Niks, Imelda de Groot, Volker Straub, Francesco Muntoni, Valeria Ricotti, Thomas Voit, Andreea Seferian, Teresa Gidaro & Laurent Servais, J Neurol. 2020 Mar 21. doi: 10.1007/

Voir également l’interview sur un autre MyoTool, Développement du MyoQuad pour évaluer la force du quadriceps