Mariko Okubo récompensée à la WMS pour la découverte d’un nouveau rôle potentiel pour les lamines

Mariko Okubo est post-doctorante au Centre de Recherche en Myologie dans l’équipe « Génétique et physiopathologie des maladies neuro-musculaires liées à la matrice extracellulaire et du noyau« . Neuropédiatre japonaise, elle est arrivée à Paris il y a deux ans. Elle a reçu le prix Léa Rose lors de la conférence annuelle de la WMS qui s’est tenue du 3 au 7 octobre 2023 à Charleston, USA, pour ses travaux sur la thérapie génique dans les laminopathies. Entretien avec Mariko Okubo (à droite), Anne Bertrand (à gauche), investigatrice principale de ce projet portant sur le développement d’approches thérapeutiques dans les laminopathies, et Gisèle Bonne (au milieu), responsable de l’équipe.

Quels sont les travaux récompensés par le prix Léa Rose ?

Mariko Okubo. Jusqu’à l’année dernière, ce prix ne récompensait que des projets sur la SMA mais en 2023, il a été décidé d’élargir le champ et de récompenser la contribution la plus importante sur la recherche sur les maladies génétiques rares.

Mon projet au sein de l’équipe porte sur la thérapie génique des laminopathies affectant les muscles striés, un groupe de maladies dues à une mutation du gène LMNA et générant une dystrophie musculaire associée à une cardiomyopathie. Il s’agit de maladies autosomiques dominantes, c’est-à-dire que les patients sont porteurs d’une copie mutée et d’une copie sauvage du gène LMNA codant pour la lamine A/C. Nous avons déjà publié* les mécanismes pathologiques de ces laminopathies du muscle strié et montré qu’ils sont dus à deux causes : la diminution de l’expression globale de la lamine normale et l’expression d’une forme toxique de lamine mutée. L’objectif de notre thérapie génique est donc de diminuer l’expression de la lamine mutée et d’augmenter l’expression de la lamine normale en même temps.

Comment avez-vous procédé ?

MO. Afin de réduire l’expression de la lamine A/C mutée, nous avons utilisé des shRNA** ciblant spécifiquement l’ARNm LMNA muté. Ce processus est souvent appelé shRNA knock-down. Nous avons également inséré dans notre construction thérapeutique la séquence de la lamine normale afin d’augmenter l’expression de la lamine de type sauvage. Le vecteur AAV porteur de la construction génétique a ensuite été injecté à des souris hétérozygotes et homozygotes nouveau-nées mutées dans le gène LMNA. Nous avons évalué la fonction cardiaque par échocardiographie tous les mois et avons remarqué que les souris hétérozygotes souffraient toujours de cardiomyopathie.

Anne Bertrand. Le phénotype normal de nos souris hétérozygotes mutées dans le gène LMNA est le développement d’une cardiomyopathie dilatée, et toutes meurent à 1 an. L’idée du traitement était d’abord de suivre par échocardiographie l’évolution de la fonction cardiaque, et lorsque la fonction cardiaque était trop sévèrement affectée, de sacrifier les souris afin d’obtenir des tissus pour des analyses moléculaires. Comme les souris ont été injectées dans la circulation sanguine à l’âge de 2-3 jours, l’AAV a été distribué dans tout le corps.

Quels sont les résultats ?

MO. La thérapie génique n’a pas amélioré la fonction cardiaque ni la survie. Mais l’analyse moléculaire des tissus montre que l’AAV n’est pas perdu avec le temps et nous pouvons détecter l’augmentation de la lamine A de type sauvage (protéine et ARNm), mais nous ne pouvons pas détecter le knock down de l’ARNsh. La surexpression de la lamine normale est donc très bonne, mais l’ARNsh ne fonctionne pas bien.

AB. Nous avons montré que le manque d’efficacité du traitement n’est pas dû à la diminution de l’AAV dans les tissus des souris. Nous avons donc étudié l’efficacité de l’approche thérapeutique en évaluant l’expression de la lamine A et nous avons constaté une normalisation de l’expression, ce qui signifie que nous avons réussi à augmenter l’expression de la lamine A de type sauvage. Ensuite, nous avons évalué le deuxième axe du traitement, à savoir la dégradation de la lamine mutante, et nous avons remarqué qu’il n’y avait pas de diminution de l’expression de la lamine A mutante. Cela est dû à un défaut de maturation du shRNA et nous devons comprendre pourquoi.

Quelles sont les prochaines étapes ?

AB. Tout d’abord, nous devons découvrir pourquoi l’étape de maturation du shRNA en siRNA ne fonctionne pas chez ces souris. C’est quelque chose qui n’était pas connu, mais apparemment cette mutation de la lamine a un impact sur l’efficacité de la maturation de l’ARNsh. Nous avons donc découvert un nouveau mécanisme pathologique dans cette maladie.

Gisèle Bonne. Dans les cellules normales, les ARNsh sont maturés par un processus naturel utilisé pour réguler la production de protéines. Mais nous ne savions pas jusque-là que les lamines jouaient un rôle important dans ce processus. C’est parce que nous avons essayé d’utiliser cette machinerie non fonctionnelle que nous avons réalisé que les lamines sont probablement importantes pour ce processus naturel.

MO. Nous devons contourner ce problème, trouver un autre moyen, sans utiliser cette machinerie, pour obtenir les effets que nous souhaitons. C’est ce travail qui a été récompensé par le prix.

 

* Bertrand et al, Cells 2020. doi:10.3390/cells9040844

 

** In vivo, pour obtenir une expression permanente, on utilise un shRNA (pour « short hairpin RNA »), une petite séquence d’ARN qui forme une boucle, et qui correspond à un précurseur du siRNA (pour « small interfering RNA »). La séquence de l’ARNsi est complémentaire de la séquence que l’on veut cibler, ici l’ARNm LMNA. La fixation de l’ARNsi sur l’ARNm LMNA interfère avec la machinerie transcriptionnelle ou conduit à sa dégradation, ce qui entraîne une réduction de la production de protéines.