L’expertise du laboratoire RMN utilisée pour suivre la croissance du coeur d’un patient

Benjamin Marty est co-responsable du Laboratoire d’imagerie et de spectroscopie par résonance magnétique du Centre d’Exploration et d’Évaluation Neuromusculaire de l’institut. Avec Yves Fromes, également chercheur dans ce laboratoire de RMN, ils viennent de publier dans The Lancet, en collaboration avec le Pr Kamenicky,  un article* décrivant l’exploration longitudinale musculaire (squelettique et cardiaque) d’un patient atteint de nanisme hypopituitaire traité par remplacement hormonal graduel à l’âge adulte. Entretien avec Benjamin Marty.

Comment en êtes-vous venu à faire des explorations IRM sur ce patient ?

Ce patient, un homme de 24 ans (1,37m,26 kg) nous a été adressé par le Pr Kamenicky, endocrinologue à l’hôpital du Krelin-Bicêtre. Il est atteint de nanisme hypo-pituitaire, c’est à dire que son hypophyse ne sécrète pas assez d’hormones, en particulier d’hormone de croissance. Nous l’avons rencontré pour lui faire un « état des lieux » musculaire et cardiaque avant le début de son traitement. Nous avons alors observé qu’il avait le coeur et les muscles d’un enfant de moins de 10 ans en bonne santé, en accord avec l’état clinique et morphologique qu’il présentait.

La question était de savoir si, en administrant un traitement hormonal, le coeur allait également grandir, sachant que les cellules cardiaques ne se multiplient pas à l’âge adulte. Différentes hormones** ont été intégrées au fur et à mesure en laissant passer des périodes de quelques mois entre chaque nouvelle hormone et entre chaque intervention, nous avons fait une IRM cardiaque et musculaire pour voir comment le coeur et les muscles réagissaient.

Quelles méthodes avez-vous utilisées ?

Nous avons utilisé pour caractériser ce patient toutes les méthodes quantitatives que nous avons mises au point depuis des années au laboratoire et que nous appliquons dans nos protocoles cliniques plutôt orientés maladies neuromusculaires.

Pour ce qui est de l’exploration du coeur, nous disposons de ce qui se fait de mieux actuellement en clinique, des techniques qui ont une dizaine d’années mais qui sont utilisées en clinique depuis 4 ou 5 ans.

Nous avons jusque-là fait des études transversales sur des cohortes d’enfants et d’adultes mais c’est la première fois que nous réalisons une exploration longitudinale sur un patient passant du stade enfant au stade adulte.

Quels sont les résultats ?

Nous l’avons suivi 4 ans, pendant lesquels il a grandi de 24 centimètres et il a eu une puberté « normale » à 40 ans. Nous avons mis en évidence que le coeur de ce patient s’est développé comme un coeur normal, il a grandi, grossi, pris de la masse de façon extrêmement linéaire au cours de son traitement et que la fonction cardiaque n’a pas du tout été altérée pendant les 4 ans. Il a grandi en accéléré et avec 25 ans de décalage tout en gardant la fonction qu’il devait avoir. C’est la première fois qu’une telle situation est décrite.

Grâce à nos méthodes, nous avons regardé la structure des tissus cardiaques par IRM pour dégager ses caractéristiques et nous avons montré que ce sont les cellules du myocarde qui ont grossi. Il y a donc bien eu une correction de l’hypotrophie des cellules musculaires.

Nous avons également regardé la structure squelettique musculaire. Des images prises au niveau des cuisses ont été ajoutées en annexe de l’article qui montrent aussi une prise de masse, de volume. Par ailleurs, on observe une diminution de l’inflammation au cours du traitement ainsi qu’une normalisation d’à peu près tous les paramètres que l’on a mesuré par IRM au cours du temps.

Qu’en avez-vous conclu ?

Dans cette étude, nous avons mis en évidence que les méthodes que nous avons mises au point pour les MNM sont applicables à d’autres autres pathologies.

Nous avons également mis en évidence la sensibilité de nos méthodes au changements dus à des interventions thérapeutiques sur un seul individu. On a des variations de la plupart des paramètres que l’on peut mesurer par IRM, c’est la sensibilité à la réponse au traitement.

Quelles seront les prochaines étapes ?

Nous affinons constamment nos méthodes pour examiner de façon plus spécifique, plus sensible et plus précoce.

Plus précoce : dans les MNM, le muscle malade s’atrophie et est remplacé par de la graisse. Ces atteintes de remplacement sont très visibles par IRM. Comme on ne sait pas inverser ce processus, l’idée est de mettre au point des méthodes pour détecter avant que le muscle ne se dégrade que quelque chose ne va pas (par exemple l’aspect inflammatoire, l’homéostasie ionique, la dérégulation du pH, l’altération du métabolisme).

Plus sensible : parce qu’il faut que le paramètre que l’on regarde soit sensible à la maladie.

Enfin plus spécifique : parce que les paramètres que l’on va mesurer par RMN sont magnétiques (temps de relaxation T1 ou T2 qui est lié à la mobilité des molécules d’eau dans le tissu observé) et donc se rapportent aux propriétés magnétiques du tissu. Il faut donc faire le lien entre les paramètres magnétiques et l’altération du tissu, et comprendre ce que cela veut dire au plan physiopathologique.

Ainsi, le laboratoire développe de nombreuses méthodes toujours plus performantes qui visent à caractériser extrêmement finement la structure du muscle, qu’il soit squelettique ou cardiaque. L’objectif est de suivre finement l’évolution de l’état musculaire et cardiaque d’un patient en réponse par exemple à un traitement dans le temps quelque soit sa maladie. Nous sommes l’un des rares laboratoires en France à suivre finement à la fois le muscle squelettique et le muscle cardiaque.

 

* Fromes Y, Chasseloup F, Bouvattier C, Creze M, Trabado S, Young J, Chanson P, Marty B, Kamenický P. Growing heart in congenital hypopituitarism treated in adulthood. Lancet. 2023 Oct 28;402(10412):1562-1563. doi: 10.1016/S0140-6736(23)02022-6. PMID: 37898533.

 

** Le traitement a consisté en l’administration d’hydrocortisone pour rétablir le taux de cortisol, puis de lévothyroxine pour améliorer la fonction thyroïdienne, le Pr Kamenicky a ensuite introduit les hormones de croissance pour stimuler la croissance, et à la fin, il a instauré des gonadotropes pour déclencher la puberté.