Le talon d’Achille de la cellule musculaire – Entretien avec S. Vassilopoulos

Stéphane Vassilopoulos travaille dans le laboratoire « Physiopathologie & thérapie de la myopathie centronucléaire autosomique dominante » au sein de l’équipe dirigée par Marc Bitoun, au Centre de recherche en myologie de l’institut. Avec son groupe*, il s’intéresse aux protéines de la membrane des cellules musculaires et plus particulièrement à la clathrine et son implication dans les myopathies.

Quel est le lien entre myopathie centronucléaire autosomique dominante et clathrine ?
En 2005, Marc Bitoun a montré que des mutations dans le gène de la DNM2 codant la dynamine 2 étaient responsables de la myopathie centronucléaire autosomique dominante (CNM). Or on sait que cette protéine est essentielle pour l’endocytose clathrine-dépendante : elle forme une spirale qui par son action enzymatique scinde la membrane et permet la libération de vésicules à clathrine. Ce mécanisme est particulièrement important puisque c’est par cette voie que les cellules échangent avec l’extérieur et qu’un grand nombre d’outils thérapeutiques entrent dans la cellule. En 2010, j’ai intégré l’équipe pour comprendre l’implication de la dynamine au travers de la voie clathrine, et j’ai entamé une série d’études sur le rôle de la clathrine dans les cellules musculaires.

La clathrine est pseudo-coloriée en rouge et les filaments intermédiaires en pourpre.

La clathrine est pseudo-coloriée en rouge et les filaments intermédiaires en pourpre.

Dans quelle direction vous ont mené ces études ?
Par exemple, la déplétion du gène de la clathrine par des techniques de biologie moléculaire entraine une dystrophie musculaire extrêmement sévère et très caractéristique. On s’est aperçu en utilisant une technique de microscopie électronique sur répliques de platine, que dans les cellules en culture, la grande majorité de la clathrine forme des plaques plates, des réseaux d’hexagones, qui sont très intimement associées avec le cytosquelette. Nous avons ainsi démontré qu’au-delà de son rôle dans l’endocytose, la clathrine peut avoir un rôle structural.

Par ailleurs, nous avons émis l’hypothèse que si les plaques sont des structures adhésives et qu’elles sont associées avec le cytosquelette, alors, suite à un stress mécanique comme les contractions musculaires, elles devraient permettre la transmission d’informations mécaniques au reste de la cellule, y compris au noyau (projet ANR-Jeune Chercheur (2015-2017).

Il faut bien comprendre que la membrane est le talon d’Achille de la cellule musculaire. C’est en effet à ce niveau que se situent des protéines qui sont très souvent mutées dans les dystrophies musculaires et les myopathies : la dystrophine et le complexe des dystroglycanes, les intégrines qui font l’adhésion avec l’extérieur de la cellule et bien d’autres. Or la clathrine organise à la fois la membrane, le recyclage des récepteurs et la structure de la cellule. Les dysfonctionnements produits par les mutations des diverses protéines avec lesquelles elle est en interaction vont donc engendrer des myopathies comme par exemple les myopathies centronucléaires mais aussi les desminopathies, ou même des myopathies d’étiologie inconnue.

Quelles seront les prochaines étapes ?
Notre singularité est de combiner des techniques originales de microscopie électronique et de microscopie optique avec les outils actuels de la biologie moléculaire. L’utilisation des systèmes génétiquement modifiés pour perturber spécifiquement telle ou telle protéine permet de déterminer très finement son rôle dans l’organisation de la cellule, en visualisant à très haute résolution ce qui se passe. Nous avons des collaborations avec de nombreux chercheurs, et en particulier avec plusieurs équipes de l’Institut de Myologie et à Paris (Institut Curie, Pasteur, Cochin, etc.).

Ce qui nous tient à cœur, c’est de comprendre comment se font les transitions entre les vésicules d’endocytose (présentes dans toutes les cellules) et les plaques (abondantes dans les cellules musculaires uniquement). Cela doit passer par une réorganisation génétique. En effet, la plupart des protéines qui forment les plaques de clathrine sont soumises à un épissage alternatif important, et des défauts dans ces voies sont impliqués dans la physiopathologie de nombreuses myopathies.

 

* Gilles Moulay, post-doctorant, Agathe Frank et Eline Lemerle, doctorantes

 

Propos recueillis par Anne Berthomier