Un outil pour évaluer le risque cardiaque chez les patients atteints de maladie mitochondriale – Entretien avec le Pr Karim Wahbi

Le Pr Karim Wahbi, cardiologue, vient de publier les résultats d’une étude internationale qu’il a coordonnée avec son équipe Registres et bases de données de l’institut. L’article porte sur la prévision des conséquences (complications) cardiaques chez les patients adultes atteints de maladies mitochondriales*.

Dans quel contexte avez-vous réalisé ces travaux ?
Nous travaillons depuis plusieurs années sur les maladies mitochondriales qui forment un groupe hétérogène de maladies génétiques rares et peuvent toucher plusieurs organes dont le muscle. Un certain nombre de patients est donc atteint de myopathie, de cardiomyopathie et de diverses complications cardiaques. Nous avons commencé par faire des études sur des petits effectifs (quelques dizaines de malades) puis, il y a cinq ans, nous avons inclus davantage de patients et analysé les adonnées de 250 malades habitant principalement en Île de France, à partir du registre des patients français atteints de maladies mitochondriales coordonné par Pascal Laforêt et de la base de données Cardiomyopathies gérée par mon équipe.
Nous avons ici porté l’effectif à 600 patients européens, ce qui en fait l’étude la plus détaillée qui existe à ce jour pour les aspects cardiaques de ces pathologies.

Quel était l’objectif de l’étude et comment avez-vous procédé ?
Notre objectif était de mieux comprendre le risque pour les patients de développer des complications à long terme et d’améliorer la prédiction de l’évaluation de ce risque pour leur proposer des prises en charge adaptées.
Les 600 patients inclus dans l’étude sont atteints de maladies mitochondriales avérées, avec mutations. Ils sont suivis dans des centres français, anglais (Londres), danois (Copenhague), allemand (Münster) et grec (Thessalonique). Avoir davantage de patients pour les analyses nous permet d’être plus précis d’un point de vue statistique et de faire des études plus fines, notamment sur des types de maladies mitochondriales plus rares.

Qu’avez-vous montré à partir de ces données ?
Nous avons montré qu’environ un tiers des patients présente des altérations lors des examens d’électrocardiographie (ECG) et d’échographie.
Nous avons également montré qu’une fois pris en charge dans un centre de référence, au cours du suivi, à 5 ans, environ 10% des patients présentaient une complication cardiaque sévère (soit une insuffisance cardiaque, soit un dysfonctionnement électrique : une anomalie de la conduction pour laquelle il fallait implanter un pacemaker, ou parfois des arrêts cardiaques).
Enfin, nous avons développé des modèles statistiques qui permettent d’évaluer le risque pour un patients d’avoir des complications cardiaques avec des explorations assez simples ECG, échographie, Holter ECG).

Quelles conclusions en avez-vous tiré ?
C’est la première fois que de tels outils statistiques étaient proposés qui permettent la stratification du risque. Ils peuvent être utilisés par n’importe quel médecin voyant en consultation un patient porteur d’une maladie mitochondriale et permettent, en fonction du niveau de risque, de proposer une prise en charge adaptée : pour les patients à faible risque, on peut espacer le suivi (examens tous les 2 ou 3 ans) et pour les patients à risque élevé, c’est très important qu’il y ait un suivi cardiaque rapproché (tous les ans ou 6 mois) et parfois des traitements préventifs.
Les études de ce type sont importantes pour préparer les essais thérapeutiques. En effet, il est essentiel de pouvoir évaluer, au niveau cardiaque, l’effet des traitements qui peuvent émerger (pharmacologiques ou de thérapies innovantes). Nous avons donc ici des données précieuses pour comprendre quelles mesures effectuer dans le cadre de protocoles et d’essais.

 

Cardiac Outcomes in Adults With Mitochondrial Diseases, K. Savvatis, C. Rasmus Vissing, L. Klouvi, et al., J Am Coll Cardiol. 2022 Oct, 80 (15) 1421–1430