Covid-19 et consultation de psychologie : 5 questions au Pr Marcela Gargiulo

Interview du Pr Marcela Gargiulo, Psychologue et Responsable de l’équipe des psychologues dans le Service de Neuromyologie dirigé par le Pr Bertrand Fontaine

Qui êtes-vous et quel est votre mission ?
Je suis psychologue clinicienne et travaille à l’Institut de Myologie depuis sa création en 1996. J’assure des activités de consultation, de recherche et d’enseignement autour des maladies neuromusculaires.

Comment se passe votre quotidien depuis le début de l’épidémie et quelle organisation avez-vous mise en place pour les consultations afin de faire face à la crise sanitaire de la Covid19 ?
Notre équipe de cinq psychologues*, en synergie avec les médecins de l’Institut de Myologie, a déployé de nouveaux dispositifs de consultation à distance.

De nombreux patients nous ont spontanément sollicitées pendant cette période, d’autres nous ont été adressés par les médecins de la consultation en raison de leur état psychologique. Nous avons également poursuivi pendant toute la durée du confinement notre activité mensuelle de « groupe thérapeutique » ou « groupe de paroles » par visioconférences ZOOM.

Nous avons aussi dû gérer des situations exceptionnelles, organiser des téléconsultations patient-psychologue-médecin, proposer l’intervention de plusieurs psychologues au sein d’une même famille pour un accompagnement individualisé, faire intervenir des psychiatres à domicile ou même contacter les urgences en situation de crise.

Nous avons ainsi rassuré, accompagné ou réorienté les patients ou leur famille en fonction des situations, chacune si particulière. Ceci en lien avec les Services Régionaux, les Référents Parcours Santé, les psychologues et équipes médicales locales.

Par ailleurs, toute notre équipe est impliquée dans la cellule d’aide psychologique Covid 19, mise en place par le service des affaires médicales de l’AFM-Téléthon. Nous sommes ainsi amenées à appeler des malades qui sollicitent une aide psychologique par l’intermédiaire des référents parcours santé ou du service mobilisation des familles de l’AFM-Téléthon. Tous les jours, nous recevons une liste de malades à appeler et chacune d’entre nous s’inscrit comme volontaire pour échanger avec telle ou telle famille.

Les situations que nous rencontrons sont très diverses : l’isolement des patients par l’absence des auxiliaires de vie, la crainte de la contagion, la recrudescence des conflits familiaux préexistants à la crise sanitaire qui se trouvent accentués par le confinement…

Mais, je tiens aussi à souligner que nous avons des retours positifs sur la solidarité familiale, celle des voisins et des amis qui passent un coup de fil ou se proposent de faire une course…. On voit aussi émerger un phénomène contre-intuitif : certains patients trouvent que le confinement les a mis sur le même pied d’égalité avec l’environnement familial. Cela leur donne l’impression que les autres peuvent mieux les comprendre toutes les limitations que la maladie neuromusculaire impose aux personnes dans leur quotidien. Par exemple, une patiente m’a dit : « Maintenant nous sommes tous égaux et ma famille et mes amis se rendent mieux compte de ce que je vis au quotidien ». Cela crée un nouveau regard sur eux-mêmes et leur maladie, une certaine forme d’empathie…

Comment vivez-vous cette situation ?
Je dirais que nous ne sommes pas tous égaux concernant le confinement. Les conditions de logement, la présence d’enfants à encadrer, le télescopage des espaces privés, professionnels, éducatifs… tout cela a nécessité des capacités d’adaptation importantes. Nous avons tous dû passer par une phase d’adaptation à notre nouveau cadre de vie pour progressivement trouver une forme de “normalité” dans ce que nous vivons.

Le travail à distance peut faire éprouver à chacun une forme de sentiment de culpabilité de ne pas être parmi ceux qui, tous les jours, sont au contact avec les patients COVID et qui risquent la contamination pour eux et leurs proches.

Pour autant, nous sommes tous acteurs de ce qui se joue et nous y avons chacun notre part de responsabilité. Mais on ne doit pas négliger malgré tout la part d’invisible dans ce que nous vivons aujourd’hui, c’est à dire nos affects : la souffrance, le plaisir, l’amertume, la colère, la déception, l’angoisse de l’échec, la peur, la culpabilité et la honte… Comme le dit si bien Christophe Desjours, un professeur de psychologie spécialiste du travail : « Travailler ce n’est pas seulement produire, cela exige en quelque sorte que l’on se transforme soi-même. C’est cela que nous impose l’expérience du COVID que nous sommes tous en train de vivre. »

Quelles éventuelles difficultés rencontrez-vous et quel est l’impact de cette situation sur vous et vos collègues ?
Le confinement peut conduire paradoxalement à un excès de travail. Je trouve que la difficulté majeure pour mes collègues et moi c’est la régulation de l’excès.

En effet, la crise sanitaire a accéléré les demandes de suivi psychologiques et nous devons aussi faire face à de nouveaux enjeux : anxiété, angoisses, peur de la contagion, peur de manquer de suivi ou de traitement…

La crise sanitaire est clairement un amplificateur de facteurs psychologiques préexistants (latents) chez de nombreux patients. Notre rôle en tant que psychologue est multi-focal. Nous devons rassurer et lever des craintes parfois irrationnelles, analyser pour dégager ce qui est réel de ce qui est fantasmé, et rationnaliser.

Nous devons faire preuve d’adaptation en permanence et prendre en compte la spécificité de nos patients et pour certains les difficultés liées à l’isolement, à la grande dépendance à autrui. Certains de nos patients, parmi les personnes âgées dépendantes, se sont retrouvés encore plus seuls par peur d’être contaminés par leur auxiliaire de vie ou leur aide-soignante. Avec le problème de manque de masques en début de crise, cela a parfois même contribué à alimenter la peur des patients qui ne voulaient plus être visités.

Avec la reprise progressive d’activité et la réouverture des consultations en présentiel, la peur de la contagion pourra persister chez de nombreux patients.  Certains restent très préoccupés par la situation. Les informations véhiculées par les médias (nombre de morts, cas de réanimation…) ont eu un impact très fort et ont souvent accentué le niveau d’inquiétude des patients (troubles du sommeil, anxiété, idées noires…).

Nous faisons un travail d’information très important et faisons le maximum pour les rassurer notamment sur leur sécurité lorsqu’ils reviendront en consultation à l’hôpital.

Quel message aimeriez-vous passer ?
Aux patients, je souhaite dire que toute l’équipe médicale et soignante du Service de Neuromyologie, avons toujours eu à cœur de les accompagner du mieux possible et leur suivi a toujours été notre priorité, même à distance.

Aux équipes de médecins, je salue le travail remarquable qui a été fait avec les patients. Ils ont pu et su maintenir un suivi des patients de très grande qualité, même à distance. Et aujourd’hui, tout a été pensé et réfléchi pour accueillir les patients dans des conditions sanitaires très strictes afin de protéger leur santé. Leur bien-être est essentiel et prioritaire pour nous.

Enfin, personnellement, je pense que nous allons tous devoir collectivement nous relever de cette expérience dont l’après-coup est encore incertain. Tout en vivant l’instant présent, il faut se préparer à l’avenir et à un changement profond de la société, du travail, des relations interpersonnelles. Et, comme dans d’autres expériences que notre humanité a traversées, je suis sûre que nous sortirons tous transformés par cette expérience.

Albert Camus disait dans La Peste, « Les habitants, finalement n’oublieront jamais cette difficile épreuve qui les a confrontés à l’absurdité de leur existence et à la précarité de la condition humaine ».

 

*Equipe des cinq psychologues de l’Institut de Mylogie : Nathalie Angeard, Bettina Beaujard, Marcela Gargiulo, Ariane Herson, Sabrina Sayah