Le séquençage très haut débit pour diagnostiquer les myopathies non étiquetées – Entretien avec T. Stojkovic

Le projet « Myopathies non étiquetées après résultat négatif des panels thématiques correspondants » proposé dans le cadre du Plan France Médecine Génomique 2025 est sur le point de démarrer. Porté par Tanya Stojkovic*, et France Leturcq**, il a pour but d’intégrer des technologies de séquençage très haut débit dans la stratégie diagnostique pour les myopathies non étiquetées afin d’adapter la prise en charge pluridisciplinaire du patient et l’anticipation des complications, d’éviter l’errance diagnostique et la redondance des examens, d’accéder à un conseil génétique fiable et de permettre l’inclusion dans des essais thérapeutiques. Dans cette même perspective, ce projet sera également pilote pour le RNAseq (séquençage sur du RNA) qui offrira la possibilité de caractériser et de quantifier les transcrits du génome à partir des biopsies des patients.

En quoi consiste votre projet ?
Deux plateformes génomiques, SeqOIA et AURAGEN, ont été créées en France qui se répartissent le territoire métropolitain. Ce sont des plateformes de séquençage très haut débit (STHD) pour de l’exome(1) et du génome(2) dans les maladies rares. Pour sa zone géographique, SeqOIA intégrera tous les gènes déjà étudiés sur les 13 panels thématiques Filnemus(3) soit un total de 200 gènes en une seule fois.

Quelle est la stratégie diagnostique actuelle dans les centres de référence des maladies neuromusculaires ?
Actuellement, lorsqu’un patient présente des signes cliniques en faveur d’une maladie musculaire, le clinicien expert du Centre de référence orienté par l’examen clinique définit les examens à réaliser tels que la biopsie musculaire, les dosages biologiques (CK, etc.), l’électromyogramme, une imagerie musculaire, etc. Ces examens permettent d’orienter parfois les analyses moléculaires vers le gène suspecté. Deux situations peuvent se présenter : soit l’analyse moléculaire portera sur un seul gène, les examens étant en faveur d’une seule hypothèse (comme en cas de maladie de Steinert ou de myopathie facioscapulohumérale), soit le clinicien définit un ou deux panels de gènes à étudier car le phénotype du patient peut correspondre à plusieurs gènes (par exemple myopathies des ceintures, myopathies congénitales, etc.). A l’issu de cette analyse par panel, soit le diagnostic de myopathie génétiquement définie est établi (par exemple, mutation du gène de la dysferline) soit les analyses ne révèlent aucune anomalie. Dans ce dernier cas, la myopathie est dite non étiquetée.

C’est donc à cette étape que les analyses via les plateformes de STHD seront proposées aux patients ?
Effectivement, la plateforme SeqOIA ou Auragen permettra d’analyser en un seul temps les 200 gènes reliées à diverses myopathies. L’analyse simultanée de ces gènes via l’exome, nous permettra d’identifier les patients dont les présentations cliniques atypiques sont associées à des gènes de myopathies déjà « connus ». L’étape suivante est donc de faire une analyse de l’exome voire du génome. Criblant tous les gènes de myopathies connus, un gène pourra être identifié auquel on n’aura pas pensé parce qu’il ne sera pas associé habituellement au phénotype de la myopathie considérée. Ces analyses nous permettront d’identifier des mutation dans une région intronique, ou des duplications, triplications (copy number variant CNV), ou encore des grandes délétions que l’on ne peut pas détecter par les panels NGS.

Depuis l’arrêt du projet MyoCapture (séquençage de 1000 exomes), nous n’avions plus la possibilité en France de faire ce type d’analyse de façon systématique et devions envoyer les prélèvements à l’étranger, perdant tout contrôle sur des données. Aujourd’hui avec les plateformes génomiques SeqOIA et Auragen, nous gardons les données génétiques en France ce qui nous permet, en plus de tout ce qui concerne directement le patient, de faire avancer la recherche.

L’analyse génomique sera-t-elle limitée aux 200 gènes connus ?
C’est encore en discussion mais nous souhaiterions étendre la recherche à tous les gènes OMIM, c’est-à-dire à tous les gènes qui sont connus pour donner des maladies rares, parce qu’on sait qu’il y a des recouvrements et que par exemple, un gène donnant une neuropathie pourrait peut-être également donner une maladie musculaire.

Nous souhaiterions enfin, en troisième ressort, avoir accès à tous les variants VUS de classe 3 (potentiellement pathogènes), parce que notre but serait également d’identifier de nouveaux gènes. Pour cela, en plus des données analysées par les bio-informaticiens et les généticiens de la plateforme, nous aurions besoin d’avoir accès aux données génomiques brutes afin de pouvoir les ré-analyser par nos propres moyens dans nos laboratoires de biologie moléculaire sous le regard de spécialistes des maladies neuromusculaires, ce dernier point est également en discussion. Mais en tous les cas, l’exome et le génome étant très compliqués à analyser, il faut des bio-informaticiens mais aussi des biologistes moléculaires, des cliniciens et des généticiens pour relier les données génétiques trouvées aux phénotypes des pathologies.

Tous les patients atteints de myopathies non étiquetées seront-ils éligibles ?
Au préalable, tous les dossiers seront, et c’est une demande qui émane du ministère, obligatoirement sélectionnés au cours de Réunions de Concertation Pluridisciplinaires (RCP), d’abord au niveau régional puis, d’après ce qui se dessine pour l’instant, une RCP nationale adulte et une RCP nationale enfants. Ces RCP successives nous permettront de valider les dossiers des familles pouvant aller sur la plateforme. Il faut en particulier avoir suffisamment de prélèvements familiaux (patient et ses parents et/ou la fratrie) et vérifier que tout ce qu’il était possible de faire en amont a bien été fait. L’idée est que le STHD soit proposé en soin courant pour ces familles.

Combien de dossiers avez-vous prévu de traiter chaque année ?
Nous prévoyons de traiter 50 dossiers en tout  la première année en RCP nationale. Le montage des dossiers est assez lourd : sur le logiciel dédié qui permettra de remplir toutes les données des patients, il faut coder chaque symptôme en HPO (Human Phenotype Ontology), entrer les données génétiques déjà recueillies telles que les panels, les données biomédicales, les ADN disponibles, il faut aussi re-convoquer les patients et tous les membres de la famille intégrés dans l’analyse, leur faire signer de nouveaux consentements spécifiques et faire de nouveaux prélèvements.

Quand allez-vous démarrer ?
Il nous faut encore obtenir les code pour entrer sur la plateforme. En outre, une formation de deux jours est prévue prochainement pour les généticiens et les biologistes, organisée par nos collègues du projet « Maladies mitochondriales d’une gravité particulière » qui ont déjà fait ce travail, pour les former à ce type d’analyse, éviter les écueils qu’ils ont rencontrés et voir avec eux quel est le meilleur moyen de rendre les résultats. En effet de nombreuses questions se posent : que mettre dans le compte-rendu ? Comment rendre les résultats ? Que conserver comme données et si oui lesquelles, comment ? Que faire des incidentalomes (gène pathogène non recherché découvert lors de l’analyse) ? Comment réaliser des tests fonctionnels ? Une formation sur la plateforme sera aussi prévue à destination des cliniciens. Enfin, quelques détails du projet sont encore en discussion et les liste des cliniciens pour les RCP est en cours de recrutement, mais nous pensons démarrer l’examen des premiers dossiers vers mars-avril 2020.

 

* Tanya Stojkovic, neurologue dans le service de Neuro-Myologie de l’Institut de Myologie, Hôpital La Pitié-Salpêtrière
** France Leturcq, biologiste moléculaire dans le service de Génétique et Biologie Moléculaires à l’Hôpital Cochin

 

(1) Exome : séquençage de l’ensemble des exons.
(2) Génome : séquençage du génome complet, exons et introns (whole genome sequencing)
(3) Les panels thématiques sont constitués par une série de gènes à tester qui sont connus et associés à une myopathie. Les 13 panels dédiés aux myopathies ont été définis par la filière FILNEMUS.