Odile Boespflug-Tanguy à la tête d’I-Motion : renforcer les liens entre recherches préclinique, clinique et soin

Odile Boespflug-Tanguy, neuropédiatre à l’hôpital Robert Debré, vient de prendre la direction de l’Institut I-Motion en plus de son poste de présidente du Conseil scientifique de l’AFM-Téléthon. Pédiatre et chercheur de formation, elle a également dirigé, au cours de sa carrière, le Centre de référence des maladies neuromusculaires d’Auvergne.
 
Quelle direction souhaitez-vous donner à l’institut ?
Le but de ma venue est surtout de renforcer les liens entre la recherche fondamentale, que je vois par le biais de la présidence du Conseil scientifique, et la mise en place des essais cliniques . Les essais thérapeutiques nécessitent de réfléchir largement en amont au type de patient auquel va s’adresser un médicament et sur quoi ce médicament est censé agir. Ainsi, lorsque vous faites un essai pré-clinique chez l’animal, si vous n’avez pas déjà en tête la maladie sur laquelle cela peut s’appliquer et quel type de médicament vous pouvez utiliser, quand vous allez regarder l’efficacité chez l’animal, vous n’allez pas obligatoirement regarder les éléments qui seront les plus intéressants pour la pathologie. Il est donc très important d’avoir une idée lorsqu’on fait un essai pré-clinique de la pathologie et de la façon dont on va pouvoir évaluer cette pathologie plus tard.

Comment le changement va-t-il s’opérer ?
A un niveau institutionnel, au Conseil scientifique de l’AFM-Téléthon, il s’agit de réorienter les projets de recherches cliniques vers l’excellence scientifique en soutenant et formant en amont les équipes cliniques . Et inversement il s’agit de pouvoir sentir à quel moment une recherche fondamentale est suffisamment aboutie pour passer à des essais pré-cliniques (toujours en lien, donc, avec un possible futur essai clinique). La rencontre entre les plateformes de recherches cliniques et précliniques est très importante pour l’efficacité du processus, sinon, on perd énormément de temps. Nous devons favoriser le pont entre chercheurs et cliniciens le plus tôt possible pour qu’ils parlent un langage commun, c’est pourquoi nous encourageons les médecins à comprendre le cheminement scientifique.

Et dans les laboratoires ?
La vitesse à laquelle on va aller vers l’essai thérapeutique est le paramètre-clé, d’où l’importance de « faire le pont » ! Si l’on n’a pas réfléchi avant, on peut perdre 2 ou 3 ans en étant obligé de refaire des études chez l’animal parce que les recherches n’auront pas suivi le protocole qui sera ensuite requis par les autorités réglementaires pour le passage à l’humain. Je dirais qu’il faut quasiment un designer d’essai pré-clinique qui travaille avec un designer d’essai clinique ! C’est ce lien que nous devons améliorer toujours plus entre les chercheurs, les cliniciens et les patients qui est primordial à I-Motion et à l’Institut de Myologie.

Quel en sera l’impact sur les pratiques quotidiennes à I-Motion ?
Nous allons continuer à travailler avec des sponsors qui développent des médicaments pour faire les essais mais il faut également que nous travaillions de notre côté nettement en amont, en particulier pour l’histoire naturelle des maladies, et pour concevoir et développer les outils nécessaires pour évaluer le devenir clinique des patients. Si on s’adresse à des maladies comme la SMA ou la DMD pour lesquelles on a maintenant beaucoup d’essais qui ont été menés, c’est plus facile de répondre à ces questions. Mais quand on s’adresse à des maladies plus rares, telle que la myopathie myotubulaire, l’histoire naturelle que nous documentons depuis plusieurs années nous a permis de proposer une évaluation pour l’essai thérapeutique en cours. Il faudrait faire ces études pour toutes les maladies rares que l’on connait. Il devient très important de faire une recherche qui est au-delà d’un essai thérapeutique demandé par un sponsor.

Je souhaiterais également aider et soutenir des essais qui nécessitent plutôt des fonds de soutiens européens et/ou nationaux (PHRC, collectivités territoriales, associations de patients, etc.), du fait de leur caractère plus « risqué » pour les industriels  s’agissant de stratégies thérapeutiques innovantes ou de  maladies ultra-rares. Cela est d’autant plus important que la France est actuellement le coordinateur du Centre de référence européen spécialisé dans les maladies neuromusculaires (MNM), l’ERN, et peut donc facilement jouer le rôle d’initiateur. Par ailleurs, et c’est là aussi très important, cela nous permet de ne pas dépendre uniquement de sponsors industriels et garantit ainsi notre indépendance dans le choix et la réalisation d’une partie de nos projets.

Vous souhaitez donc élargir la palette d’activités d’I-Motion ?
En quelques années, grâce à l’expertise de mes prédécesseurs Laurent Servais et Teresa Gidaro, I-Motion a convaincu de son efficacité au niveau international et européen : de nombreux sponsors sont venus nous demander de faire des essais. Désormais, pour les laboratoires américains, nous sommes devenu un lieu très privilégié pour un centre en Europe. Dans le domaine des maladies rares, ils ont besoin d’avoir accès à des centres experts qui sont capables d’avoir très rapidement accès à des patients et à une plateforme d’essai clinique efficace. I Motion a maintenant des ARC expérimentés capables de designer des études de recherche clinique appliquées aux MNM, des kinésithérapeutes connaissant tous les scores que l’on peut faire, et des patients suivis en cohorte dans la consultation. Nous sommes le seul centre à avoir réalisé autant d’essais en France. I-Motion, doit être un catalyseur  afin de mailler le territoire de telles structures au sein des CRMR de la filière FINEMUS et en lien avec les pôles stratégiques de recherche que l’AFM-Telethon soutient.

Pourquoi est-il important que les patients soient suivis dans le centre d’essais ?
Il est pour moi essentiel qu’une structure de recherche clinique soit adossée à une consultation où les patients se rendent pour leur consultation habituelle ou un avis diagnostic. Il est en effet absolument nécessaire de rester confronté à tout type de maladie pour savoir et comprendre comment orienter les futurs essais thérapeutiques, et connaître  la prise en charge quotidienne des malades. C’est pourquoi il est si important de travailler en lien avec les Centres de référence. Si le Centre de référence des MNM de l’adulte est dans l’Institut de Myologie, ce n’est pas le cas pour nous et nous voudrions intégrer l’activité de suivi des patients au sein d’I MOTION à celle du Centre de référence des MNM de l’enfant de Trousseau pour optimiser les prises en charge dans le soin et dans les essais cliniques des patients.

Jusque-là, avec le Conseil scientifique de l’AFM-Téléthon, je me suis beaucoup focalisée sur le passage de la recherche fondamentale à la recherche clinique. Mon ambition, maintenant, est de faire que la recherche clinique soit en lien fort avec le soin et que les acteurs impliqués dans les essais thérapeutiques soient aussi les acteurs qui dispensent les médicaments une fois l’autorisation de mise sur le marché obtenue. En effet, si le Centre de référence connait la molécule car il a participé aux essais, le passage aux patients est beaucoup plus rapide parce que tout le savoir-faire est déjà sur place. Le suivi des patients après traitement est fait dans la continuité des essais, ce qui est infiniment plus efficace, pour le plus grand bénéfice des malades mais aussi de nos autorités de tutelle pour en suivre les bénéfices /risques.

 

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Propos recueillis par Anne Berthomier