Bruno Cadot lauréat du « Elsevier Big Prize » au congrès de la WMS

Bruno Cadot* a reçu le « Elsevier Big Prize » au congrès de la WMS (2-6 octobre 2018 à Mendoza en Argentine) pour sa communication orale portant sur la connexion noyau-cytosquelette et le positionnement du noyau au cours de la formation du muscle.

Quels sont les travaux pour lesquels vous avez reçu ce prix ?
J’ai présenté lors de ce congrès les dix dernières années de recherche que j’ai effectuées à l’Institut de Myologie. L’idée de départ était d’étudier le positionnement des noyaux lors de la différenciation des fibres musculaires. Ce phénomène n’était pas vraiment étudié alors que la position du noyau est quelque chose que les pathologistes utilisent tout le temps lorsqu’ils regardent des coupes de muscle ; elle leur sert de marqueur pour savoir si le muscle est en régénération, ou chez des patients s’il y a un problème. Mais jusque-là, assez peu de chercheurs se sont intéressés à comprendre si la position du noyau avait un lien avec la pathologie ou la fonction propre du muscle.

Depuis 10 ans, nous avons développé des systèmes cellulaires observables au microscope qui simulaient les évènements ayant lieu dans l’organe. En utilisant des modifications génétiques, des approches de biochimie, l’analyse d’images et des simulations par ordinateur, nous avons pu définir 4 types de mouvement successifs lors de la formation des fibres musculaires et déterminer les mécanismes des trois premiers. Ce sont ces résultats que j’ai présentés à la WMS.

Pourriez-vous détailler les 3 étapes dont vous avez élucidé les mécanismes ?
Les fibres musculaires, qui contiennent beaucoup de noyaux, résultent de la fusion de plusieurs cellules mononucléées entre elles.
i) 1er mouvement : lorsqu’un myoblaste fusionne avec une cellule qui a déjà plusieurs noyaux (un « début » de fibre musculaire ou myotube), le noyau du myoblaste va se déplacer de l’endroit de la fusion vers le centre du myotube, grâce au cytosquelette (microtubules portant des moteurs moléculaires).

ii) Puis les noyaux vont se répartir de manière plus ou moins régulière à l’intérieur du myotube, là encore en s’appuyant sur le cytosquelette, mais d’une manière différente en utilisant d’autres moteurs moléculaires.

iii) Ensuite, au moment de la mise en place de l’appareil contractile de la cellule, les myofibrilles, ces longs fils d’actine et de myosine disposés dans le sens de la longueur de la fibre, vont repousser les noyaux à la périphérie de la cellule par un mécanisme de contraction. Lorsque la cellule commence à se contracter, la desmine va peu à peu établir des liaisons transversales entre les myofibrilles et agir comme une fermeture éclair. L’espace où se tiennent les noyaux va alors se rétrécir de plus en plus, et le noyau va être poussé vers l’extérieur de l’espace central où se tiennent toutes les myofibrilles et va devoir se déformer pour pouvoir passer.

Dans certaines maladies, les noyaux ne vont pas à l’extérieur, ou, s’ils y vont dans un premier temps, ils reviennent parfois vers l’intérieur, comme dans les myopathies centronucléaires, mais on ne sait ni pourquoi, ni comment. Nous pensons que la rigidité de l’enveloppe nucléaire est importante : s’il est trop rigide, il ne va pas pouvoir passer entre les myofibrilles et va rester au centre, et s’il est trop mou il va rester au milieu car il pourra être complètement déformé entre les myofibrilles. On pense donc que la rigidité du noyau est importante pour ce mouvement-là.

Par ailleurs, lors de leur différenciation, les cellules réorganisent leur cytosquelette microtubulaire. En effet, lors des premiers stades, le noyau devient le centre d’organisation des microtubules activité normalement dévouée au centrosome. Ce phénomène, décrit il y a plus de 30 ans, restait jusqu’à maintenant inexpliqué. Nous avons pu identifier une protéine, Nesprine-1, liée à la membrane externe du noyau, comme requise pour l’ancrage des microtubules à celle-ci. En l’absence de celle-ci ou dans le cas d’une mutation donnant lieu à une dystrophie congénitale, les noyaux ne sont plus disposés de manière équidistante dans les fibres musculaires. Sa présence et donc le transfert de l’organisation des microtubules à l’enveloppe nucléaire représente un évènement majeur pour la formation des fibres musculaires et pour leur fonction. Ce nouveau rôle d’une Nesprine, jusqu’à maintenant connue pour transmettre des signaux mécaniques au noyau, la place comme un acteur majeur de l’organisation de la cellule. Grâce à cette découverte, nous avons pu expliquer le rôle de cette relocalisation dans le mouvement des noyaux car ces derniers utilisent les microtubules pour se répartir le long des cellules musculaires.

Quel est le 4ème mouvement dont le mécanisme est en cours d’élucidation ?
Il s’agit du regroupement de quelques noyaux sous la jonction neuromusculaire. Quand le nerf vient toucher la fibre musculaire, sans que l’on sache précisément quand cela a lieu lors des différentes étapes de différenciation, on observe que 6 à 8 noyaux se retrouvent sous cette partie où le nerf rencontre le muscle. On a observé que si ces noyaux sont mal positionnés, il y a une mauvaise transmission du signal entre le nerf et le muscle, et donc une mauvaise contraction. Je pense que, comme dans le 2e mouvement, cela dépend des microtubules, parce qu’une fois que les noyaux sont en périphérie, ils peuvent encore bouger longitudinalement, mais il nous reste encore à le montrer précisément.

 

*Chercheur dans l’équipe « Physiopathologie & thérapie de la myopathie centronucléaire autosomique dominante » dirigée par Marc Bitoun

 

Références :

• Gimpel P, Lee YL, Sobota RM, Calvi A, Koullourou V, Patel R, Mamchaoui K, Nédélec F, Shackleton S, Schmoranzer J, Burke B, Gomes ER, Cadot B. Nesprin-1α-Dependent Microtubule Nucleation from the Nuclear Envelope via Akap450 Is Necessary for Nuclear Positioning in Muscle Cells. Current Biology. 2017 Sep 27 pii: S0960-9822(17)31069-2. doi: 10.1016/j.cub.2017.08.031.

• Roman W, Martins JP, Carvalho FA, Voituriez R, Abella JVG, Santos NC, Cadot B, Way M, Gomes ER. Myofibril contraction and crosslinking drive nuclear movement to the periphery of skeletal muscle. Nature Cell Biology. 2017 Sep 11. doi: 10.1038/ncb3605.

• Gache V, Gomes ER, Cadot B. Molecular motors involved in nuclear movement during skeletal muscle differentiation. Molecular Biology of the Cell. April 1, 2017 vol. 28 no. 7 865-874.

• Cadot B, Gache V, Vasyutina E, Falcone S, Birchmeier C, Gomes ER. Nuclear movement during myotube formation is microtubule and dynein dependent and is regulated by Cdc42, Par6 and Par3. EMBO Rep. 2012 Aug 1;13(8):741-9.

.Metzger T, Gache V, Xu M, Cadot B, Folker E, Richardson BE, Gomes ER, Baylies MK. MAP and Kinesin dependent nuclear positioning is required for skeletal muscle function. Nature. 2012 Mar 18;484(7392):120-4.

 

Propos recueillis par Anne Berthomier